Salimata Nébié/Conombo est diplômée en sciences humaines et sociales. Elle a consacré l’essentiel de sa carrière à la coopération canadienne au Burkina Faso, où elle était chargée du suivi de nombreux projets et programmes axés sur le partenariat institutionnel et le renforcement des capacités.
Familière avec les normes de travail des institutions internationales exigeantes en termes de résultats, elle cumule plus de 30 ans d’expérience au sein d’organisations internationales de développement et du secteur privé. Ancienne stagiaire de l’École de maintien de la paix Alioune Blondin Bèye, Mme Nébié est actuellement instructrice et experte en stabilisation. En plus de développer des partenariats stratégiques entre les organisations de la société civile et les institutions nationales, elle a contribué à des études sur l’extrémisme violent et le terrorisme, ainsi qu’à des réunions de haut niveau sur la contribution des communautés à la prévention de l’extrémisme violent au Sahel.
Passionnée d’innovation sociale et d’intelligence collective, elle encourage au sein de l’institution qu’elle dirige la réflexion sur les approches non militaires à la crise sécuritaire. Membre de Think Peace Sahel, elle assume également le rôle de viceprésidente au sein du Think tank Prospective et Renaissance. Haut représentant du mécanisme international de prévention et d’alerte précoce des crises au Sahel (MIPAS) de décembre 2022 à août 2023, elle a également occupé le poste de ministre du Genre et de la Famille au Burkina Faso.
Depuis plus de 30 ans, elle milite en faveur des droits humains inclusifs et de l’égalité entre les sexes.
Jeunesse Academy : Comment percevez-vous la situation sécuritaire et politique actuelle au Burkina Faso et comment cela affecte-t-il votre travail ?
Salimata Nébié/Conombo : Le Burkina Faso, au même titre que les autres pays de la sous-région, subit de plein fouet l’insécurité liée à la prolifération des groupes armés terroristes (GAT) et des super gangs criminels au Sahel.
Nous ne pouvons plus faire face à cette menace seuls. La situation impose de repenser les outils et mécanismes de coopération sous-régionaux, en particulier dans l’espace Liptako-Gourma, et même les pays du littoral qui sont aussi dans l’œil du cyclone. Pour moi, il est impérieux de renforcer une approche de sécurité par le bas ; une sécurité tournée vers l’humain, en particulier vers les femmes, les filles et les jeunes.
Je m’investis particulièrement sur cette question à travers l’opérationnalisation des résolutions des Nations unies 1325 et 2250, respectivement dédiées aux Agendas « Femmes, Paix et Sécurité » et « Jeunes, Paix et Sécurité ». En tant que ministre du Genre et de la Famille au Burkina, j’avais initié une importante dynamique sur ce sujet en créant une Direction générale dévolue à cette question, qui en soit est un programme complexe auquel il faille accorder une importance égale à celle portée sur l’existence même du pays.
Aucune stabilité ne se fera sans les femmes et les jeunes. Je poursuivrais ce plaidoyer dans d’autres cadres plus vastes car nous avons les ressources intellectuelles et l’expertise pour que ces sujets soient au cœur de l’agenda des pays sahéliens.
Les questions de sécurité humaine ne doivent pas être un effet de mode, mais une réalité structurelle et non négociable dans la gouvernance de nos États et dans la philosophie de nos partenaires extérieurs
En tant que femme, comment avez-vous réussi à faire votre place dans un domaine historiquement dominé par les hommes ?
Le travail. Pour être court, je me suis retrouvée dans la gouvernance sécuritaire par un long processus de reconversion professionnelle qui exigeait de nombreux déplacements pour suivre des formations et des séjours d’immersion dans le réel des conflits hors du Burkina. J’ai eu le soutien de ma famille et de certaines organisations au sein desquelles j’étais engagée, notamment le Think tank Burkina international.
Je n’aime pas me positionner par rapport à mon statut de femme. J’ai eu la chance de construire ma carrière professionnelle dans un environnement où l’équité et le mérite sont la règle. Je n’ai jamais été confrontée à une quelconque discrimination ou injustice du fait d’être une femme, aussi bien dans l’espace privé que dans l’espace public.
Cela exige de l’ordre et de la discipline et par-dessus tout un investissement dans la recherche de la connaissance et l’affinement de la maîtrise des questions auxquelles on s’intéresse. Ceux qui me connaissent savent que j’aime l’excellence et l’innovation. Je n’arrête pas d’apprendre et de cogiter. Peu importe le sujet, quand je m’y intéresse, je me donne à fond sans demi-mesure. Dans ce monde compétitif, on ne tolère pas les demi-connaissances.
Il faut exceller dans ce que vous faites. Quoi qu’il advienne, on viendra vous chercher parce que vous ferez partie des meilleurs, des spécialistes ou des experts. Les femmes doivent forger leur mental en acier pour compter, et affronter les réalités et à défendre leurs intérêts. Là-dessus, il y a beaucoup de chantiers à construire et à d’autres à finir.
Comment pouvez-vous encourager les femmes à prendre des postes de leadership dans le domaine de la diplomatie et de la coopération régionale en Afrique, et quels sont les conseils que vous leur donneriez pour et quels sont les conseils que vous leur donneriez pour réussir dans ces domaines ?
Sans vouloir me répéter, elles doivent étudier et se former dans ce domaine. Les diplomates devraient faciliter des séances d’immersion aux jeunes filles pour les motiver à développer une vocation pour ce métier, qui au-delà des apparats, demande des savoirs spécifiques, mais qui sont leur portée. Le monde a connu des femmes exceptionnelles dans la diplomatie.
Rappelez-vous de l’américaine Condelisa Rice. Elle était férocement redoutable pour défendre les intérêts de son pays et imposer sa vision et ses décisions. Ça demande du cran, de la connaissance de l’habileté, et une grande capacité de persuasion et dissuasion ?
Les femmes naturellement possèdent toutes ces armes et elles le font au quotidien avec leurs enfants, les personnes de leur entourage, ce sont des diplomates nées.. On peut diriger la diplomatie d’un pays sans être du corps, mais idéalement, c’est avantageux si on est du métier parce qu’on en connaît les ficelles et les codes. En 60 ans d’indépendance, seulement deux femmes ont été nommées ministres des affaires étrangères et 3 autres au ministère délégué à la coopération régionale.
Pourtant ce ministère regorge de femmes talentueuses qui ont même formé des cohortes de cadres qui ont embrassé plus tard la diplomatie. Les opportunités pour les femmes à certains niveaux paraissent limitées, mais il y a de l’espace, et des places à prendre. J’encouragerais nos pays à poursuivre les efforts pour exploiter le compendium des compétences des femmes, diplômées ou non.
J’ai toujours promu l’intégration des compétences des femmes rurales à ces références. Il faut qu’on y arrive, quitte à créer un compendium alternatif qui leur sera exclusivement consacré.
Les travailleurs de l’éducation et de la santé comprennent bien ce que cela veut dire. Les mamans à la maison sont le prolongement de tout le travail qu’ils font au quotidien.
En tant que femme sous les projecteurs, quelle est votre intime conviction sur l’égalité des sexes, tant dans le monde professionnel que dans le cadre conjugal ?
Nous sommes dans un système phallocratique faussement compétitif qui verrouille les portes pour les femmes, lorsqu’elles sont sollicitées pour accéder à des hautes fonctions. La société est capable de se battre pour faire de vous une experte dans un domaine, et cette même société va mettre tout en œuvre pour vous décourager et même vous empêcher de briguer des postes d’influence ou d’accepter des missions d’importance où vous aurez de la notoriété et de la visibilité.
Le jour où vous vous risquez à percer le plafond de verre ; les gens vont savonner le plancher pour le rendre glissant pour vous. Les femmes doivent négocier en permanence avec leur entourage proche pour s’élever dans la société. Tant que leur réussite ne dépasse pas la production d’argent, ça passe. Regardez les femmes qui prospèrent dans les affaires, elles ne dérangent personne surtout quand elles ne peuvent pas aligner deux phrases !!! Elles peuvent être archimillionnaires et personne ne les regarde parce qu’elles ne dirigent pas des institutions de l’état. Pourtant, elles emploient des hommes et font vivre des milliers de familles. Par contre, une femme haut responsable de l’état, c’est autre chose, la société ne l’envisage pas et a du mal à digérer.
Elle doit prouver à chaque seconde qu’elle est légitime à la fonction, qu’elle n’y est pas ni par la force du hasard, ni par complaisance. Quand vous avez des compétences, vous ne craignez rien, vous êtes à l’aise et vous donnez même des petites leçons d’humilité à des baveux qui testent vos capacités.
Les femmes doivent pouvoir compter sur leur famille pour tranquillement exercer de hautes fonctions et rester concentrées sur leur mission pour impacter durablement et marquer positivement leur passage. Parce qu’il n’est pas utile de se battre sur plusieurs fronts. Les femmes ne le disent pas, mais nombreuses d’entre elles, ont dû se contenter d’une carrière professionnelle terne, à l’ombre d’hommes rigides
pour ne pas « perturber » l’équilibre familial. Je connais un grand nombre de femmes d’excellent niveau, bien formées extrêmement brillantes qui n’ont pas l’occasion d’exploser leur potentiel. Elles ont des compétences enviables et
dans tous les domaines, mais on les bride à dessein. C’est pourquoi, il faut traquer ces entraves de notre société qui sont dans une certaine mesure des violences caractérisées et entretenues. La société burkinabé sait éteindre les femmes.
J’espère que la nouvelle génération fera bouger les lignes.
Quelle est la cause féminine pour laquelle vous avez le plus de sensibilité ?
Un statut humain pour tous. Le respect des droits humains. Mon souhait est que la femme soit un acteur à part entière reconnu dans la construction du pays. Je me bats pour la reconnaissance de la femme rurale qui porte tout le poids des tares sociales qui nuisent à son épanouissement. La société est violente envers les femmes et leurs droits sont gravement violés surtout dans le cadre familial, et au sein
de leur propre communauté. Ce sont des inégalités codifiées par la société qui broient la femme. Et ces inégalités restent en partie la cause de la violence et de l’affaissement du tissu social. Les germes des conflits qui minent aujourd’hui
notre pays, tiennent aussi du refus d’un ordre social très inégalitaire qui donne l’illusion d’une société solide.
Et on veut maquiller cela en vertu coutumière ou autres pratiques injustes dites séculaires, qui nourrissent en partie la mutation violente communautaire en cours. Laisser les gens espérer un statut d’être humain tel que notre constitution le reconnaît à chaque citoyen. Les jeunes gens souffrent énormément des injustices sociales et familiales.
La violence finit par leur apparaître comme un moyen pour s’exprimer. Une société qui écrase la femme, écrase son enfant, et elle ne peut que produire des enfants révoltés et violents. Il faut réhabiliter la femme, surtout la femme rurale. Reconnaitre son mérite et lui donner les moyens d’entreprendre et d’exploiter la terre comme les hommes.
C’est une question de justice sociale, et d’intelligence économique. Si on continue de laisser les femmes rurales dans cette souffrance ; la prochaine révolution viendra
de là. Observez toute l’ingénierie que ces femmes sont en train de développer pour survivre à la crise actuelle. Il y a toute une expertise endogène en matière de survie qui est en train de naître sous nos yeux. Elles payent le prix fort pour préserver des lambeaux de familles. L’insécurité a mis les femmes rurales en première ligne et ce sont elles qui encaissent tous les chocs qui viennent avec.
La famille qui devrait être une source de sécurité et d’épanouissement social pour tous est en pleine et violente mutation. Des milliers de femmes et d’enfants sont devenus de fait des chefs de familles. Vous imaginez demain à quel modèle de société nous ferons face ? Des enfants sont devenus des chefs de familles et jouent désormais des rôles qui ne sont pas les leurs.
Il faut penser dès maintenant aux contours de ces mutations, qui sont aussi des ruptures structurelles de notre société. Les femmes sont protégées dans l’espace public au Burkina, pour le moment. Le statut assigné à la femme dans notre contexte est décidé depuis la famille. C’est pourquoi la famille reste pour moi le noyau qui peut transformer l’ensemble de la société.
Quels sont les changements que vous aimeriez voir en matière d’égalité des sexes en Afrique dans les années à venir ?
Le droit, la justice sociale économique et politique. Je persiste à affirmer que l’égalité des sexes est une question de droits humains. Quand les droits humains sont respectés, les mêmes chances sont accordées à tous sans distinction, sans pollution avec des considérations ethniques ou religieuses, la société va prospérer. L’exclusion des femmes et des jeunes, et aussi d’autres composantes de la société, je fais allusion à celles qui pratiquent le système abject et déshumanisant des castes qui font de certains hommes des non-personnes. L’enjeu de la transformation, du
changement de statut social des individus repose sur la capacité de résistance des familles.
Le cercle familial où les violences incroyables et de basse intensité sont observées contre les filles et les femmes. J’ai reçu le témoignage public d’une autorité africaine du cas d’une petite fille mariée à 9 ans et devenue veuve à 12 ans. Veuve à 12 ans et astreinte aux mêmes obligations qu’une adulte de 70 ans. C’est ahurissant, non ! Il faut que ça change. Nous finalisons en ce moment une série de propositions que nous soumettrons dans les meilleurs délais aux gouvernements et aux partenaires.
Ces propositions ont trait, notamment, aux agendas que je citais tout à l’heure, la prévention de l’extrémisme violent, mais également et de manière encore plus transversale sur le rôle de la société civile et des diasporas qui ne sont pas assez intégrées aux réflexions sur la paix et la stabilité. Au Burkina, nous tiendrons dans les prochains jours la première réunion de cadrage stratégique pour l’instauration d’une Décennie de la paix au Sahel.
Les femmes et les jeunes seront les acteurs majeurs de ce programme décennal qui est un processus inclusif et une batterie de réponses à la crise en cours. Tout concourt à ce qu’ils se déploient sur les questions de paix et de développement.
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