Le Covid-19, accélérateur d’inégalités dans l’éducation au Burkina Faso

Un récent rapport de l’AFD sur les inégalités au Burkina Faso montre que les progrès dans ce domaine sont fragiles et qu’en dépit des avancées notables que ce pays du Sahel a connues au cours des deux dernières décennies, des inégalités importantes fondées sur le genre, le statut économique ou le lieu de résidence persistent. Aujourd’hui, c’est la pandémie de Covid-19 qui met à rude épreuve le secteur de l’éducation dans ce domaine.

Une parité qui a progressé dans les écoles
Dans le domaine de l’éducation, le Plan décennal de développement de l’enseignement de base 2002-2011 établi par les autorités du Burkina Faso a abouti à une forte réduction des inégalités de genre. Celle-ci s’est notamment traduite par la parité en termes d’accès et de performances scolaires dans l’enseignement primaire, et par un rattrapage progressif du retard des filles sur les garçons dans le post-primaire. Cependant, les inégalités entre filles et garçons demeurent importantes au niveau du secondaire et du supérieur, où les indices de parité en 2017 étaient respectivement de 0,65 et 0,52 pour un taux brut de scolarisation de 90,7 % au primaire, de 52 % au post-primaire, mais d’à peine 17,6 % au secondaire.

Les inégalités spatiales persistent également au détriment du milieu rural et des régions du Sahel et de l’Est, où les mariages d’enfants restent plus répandus et les problèmes sécuritaires de plus en plus prégnants. Dans ces deux régions, l’accès à l’éducation et les taux d’achèvement d’un parcours scolaire sont plus faibles qu’ailleurs, quel que soit le niveau scolaire.

Quant aux inégalités liées au statut économique familial, elles restent fortes : les enfants des ménages les plus pauvres ont moins de chances d’accéder à l’enseignement primaire et secondaire, et de plus grandes difficultés à demeurer dans l’institution scolaire.

Dans ce contexte déjà fragile, les mesures restrictives adoptées pour contenir la pandémie de Covid-19 risquent d’exacerber les inégalités existantes à court, mais aussi à moyen et long terme, comme le montre un papier de recherche de l’ISSP publié en 2020 par l’AFD.

Les plus démunis et les jeunes filles, en rupture de lien scolaire
Dans le domaine de l’éducation, ces mesures ont entraîné la fermeture des établissements de tous les niveaux d’enseignement dès le 16 mars 2020, soit une semaine après l’apparition des premiers cas de Covid au Burkina Faso. Ces mesures initiales ont été plusieurs fois reconduites, et la reprise des cours n’a été effective qu’à partir du 1er juin 2020 pour les classes d’examen (CM2, troisième, dernière année du CAP et du BEP, terminale) et de septembre dernier pour les autres.

Ces fermetures ont marqué pour les élèves une rupture du lien avec l’institution scolaire, entraînant, dans le meilleur des cas, le non-respect des volumes horaires statutaires sur l’année et la baisse de la qualité et de la quantité des apprentissages. Dans un contexte où le suivi scolaire à domicile est très limité, cette baisse a plus particulièrement affecté les enfants des catégories socio-économiques défavorisées, exacerbant les inégalités scolaires.
La suspension des activités économiques, notamment de commerce, de restauration et de transport, qui occupent une place centrale en ville, accentue – et risque de pérenniser – les effets néfastes des fermetures des établissements scolaires. Dans un contexte où le taux de salarisation est globalement très faible (20 % en moyenne à Ouagadougou, tous secteurs confondus), l’arrêt de ces activités a des conséquences négatives sur les revenus des ménages. Les enfants sont amenés à abandonner les études au profit d’activités génératrices de revenus. Comme le montre l’expérience, ces abandons sont souvent définitifs, car le retour à l’école est peu répandu.

Ce phénomène est susceptible d’affecter plus durement les enfants des ménages les plus vulnérables, dont les ménages du secteur informel, entraînant à la fois une baisse de la fréquentation et une hausse des inégalités d’accès à l’éducation entre catégories sociales.

L’impact de l’arrêt de l’activité économique sur l’éducation
Le parallèle avec les fermetures d’écoles dans les zones touchées par les attaques terroristes montre que les abandons définitifs concernent principalement les jeunes filles, qui migrent massivement vers les grands centres urbains à la recherche d’emplois domestiques. Ainsi il est possible que ces nouvelles fermetures prolongées d’écoles remettent en cause les progrès en matière de réduction des inégalités de genre dans l’éducation.

Au-delà de ces deux principaux facteurs qui affectent négativement la demande et l’offre d’éducation, d’autres mesures pourraient également peser sur l’offre éducative à moyen-long terme. Ainsi, la fermeture des établissements privés a affecté les revenus des enseignants de ce secteur qui sont rémunérés sur la base du volume horaire exécuté, risquant de les éloigner de l’enseignement.

L’arrêt de l’activité économique a également pu affecter les chantiers de construction des infrastructures scolaires, rallongeant les délais de livraison, avec un effet négatif sur l’offre. Enfin, des ressources financières, notamment publiques, pourraient avoir été réorientées du secteur de l’éducation vers celui de la santé.

Des mesures de remédiation qui creusent les inégalités
Pour remédier à la fermeture des établissements d’enseignement primaire, post-primaire et secondaire, le ministère de l’Éducation nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales (MENAPLN) a développé des contenus pédagogiques pour les classes d’examen, diffusés à partir de mai 2020 sur plusieurs chaînes de télévision et de radio. Si cette initiative est à saluer, elle risque de contribuer à creuser les inégalités entre les enfants des familles aisées, qui ont accès à ces médias, et les autres.

D’après un rapport sur les inégalités datant de 2014, plus de la moitié des ménages des villes intermédiaires (53,5 %) et plus de quatre ménages sur dix de la capitale (41,5 %) n’avaient pas de téléviseur, tandis qu’en milieu rural cette proportion s’élève à 96,6 %. L’accès à un poste radio est plus répandu mais loin d’être universel : 41,7 % des ménages ruraux, 50,7 % de ceux des villes intermédiaires et 44,5 % de ceux de la capitale. Même pour les ménages qui disposent de ces équipements, on peut se demander si les enfants y ont vraiment accès et si l’environnement familial se prête à un apprentissage à travers ces médias.

Dans l’enseignement supérieur, un plan de reprise fondé sur l’enseignement à distance a été proposé, tandis que la reprise des cours du 11 mai 2020 n’a concerné que les niveaux licence et master. Pour les premières et deuxièmes années, où les effectifs sont pléthoriques, celle-ci se fera plus tard, progressivement, au gré des établissements.

L’accès à Internet, un enjeu crucial
Certes, la crise pourrait être une opportunité de dynamiser l’enseignement à distance, à condition toutefois d’améliorer à la fois l’accès à l’Internet à haut débit et l’accès des jeunes, notamment ceux de l’enseignement supérieur, à un ordinateur. À Ouagadougou, seuls 18,3 % des ménages disposaient d’un tel accès en 2014, contre 8,5 % dans les autres villes et 0,3 % en milieu rural. La possession d’un téléphone portable est nettement plus répandue chez les 19-25 ans scolarisés (92,4 %), mais reste à savoir si ces appareils sont équipés pour suivre des enseignements à distance.

La pandémie de Covid-19 révèle ainsi, si besoin en était, la nécessité pour le Burkina d’investir quantitativement et qualitativement dans les infrastructures de l’enseignement à distance, tout en veillant à ce que les couches vulnérables ne soient pas laissées pour compte.

Ainsi, en dépit des solutions de remédiation proposées, les défis en termes d’accès à un enseignement de qualité restent entiers, tout comme celui des abandons scolaires qui affecte de manière plus forte les élèves des milieux défavorisés et les filles.

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