La fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest a restitué en décembre 2022, une étude sur la sécurité des femmes journalistes. Elle a concerné 22 femmes journalistes et 10 rédacteurs en chef et directeurs de publication issus de 12 médias et s’est penchée sur les formes de violences que subissent les femmes journalistes dans les médias burkinabè. L’étude a permis de révéler que les femmes journalistes sont victimes à la fois de violences au sein des rédactions et en dehors.
L’étude sur la sécurité des femmes journalistes a pour objectif d’identifier et d’étudier les attitudes et pratiques hostiles aux femmes journalistes dans l’exercice de leurs fonctions et qui pourraient expliquer leur faible représentativité dans les médias. Elle a consisté essentiellement au recueil des témoignages et de récits autobiographiques auprès d’hommes, mais surtout de femmes journalistes, sur les formes de violences dont elles sont victimes.
L’enquête auprès des répondants constitués de 22 femmes journalistes de la radio, la télé, la presse imprimée et celle en ligne et de 10 responsables éditoriaux, s’est déroulée de juillet à août 2022. Elle a mis l’accent sur les violences publiques, exercées généralement par des acteurs extérieurs tels les sources d’information, les auditeurs, les téléspectateurs, les lecteurs, etc., ainsi que sur les violences internes pratiquées au sein des rédactions et dont les femmes sont victimes.
Les violences subies au sein des rédactions, encore appelées violences organisationnelles, peuvent être d’ordre physique ou moral et sont exercées par des acteurs du média sur d’autres collègues du même média. Les répondants à l’enquête notent que les violences physiques dirigées contre des femmes journalistes sont rares dans les rédactions. Ce qui est légion, ce sont les violences verbales et psychologiques. On les retrouve généralement au niveau de l’organisation et la division du travail journalistique, aussi bien dans l’attribution des positions dans la chaîne décisionnelle que dans la répartition thématique des tâches. Les femmes se voient de manière systématique confier le traitement des « soft news », plus légères et les hommes aux « hard news » plus chaudes et nécessitant un travail sur le terrain.
Les femmes enquêtées dénoncent le fait que leurs compétences et leur capacités professionnelles soient parfois, à tort ou à raison, consciemment ou inconsciemment minimisées ou sous-valorisées et qu’elles en soient réduites à réaliser des reportages de moindre importance. Ce qui représente pour elles une violence. Elles déplorent également les discriminations fondées sur l’apparence physique, notamment en ce qui concerne la présentation télé. « A l’écran, toutes les femmes n’y passent pas. Parfois, vous avez des femmes journalistes qui peuvent bien faire de la présentation, mais on estime qu’elles ne sont pas présentables. Et celles qui n’ont pas toutes les compétences requises se retrouvent à l’écran. On se demande est-ce qu’on ne les vend pas comme des produits, des objets pour attirer de l’audience. Beaucoup ne le disent pas, mais il y a toutes ces violences là qu’elles subissent », regrette une des enquêtée.
Autre violence subie par les femmes dans les rédactions, le harcèlement sexuel. Il est constaté entre les journalistes reporters et entre ceux-ci et les responsables éditoriaux. Selon la plupart des enquêtés hommes et femmes, les principales victimes de ce harcèlement s’avèrent être les stagiaires filles, même si les titulaires non plus ne sont pas épargnées. « Une collègue a été la cible d’un harcèlement de la part d’un patron de la boîte. Souvent, quand elle s’habille, le monsieur vient soulever sa jupe ou taper sur ses fesses et elle en avait marre », rapporte une journaliste enquêtée. Cette forme de violence sexuelle est principalement dirigée contre les femmes célibataires, perçues comme des personnes aux mœurs légères, si bien que leur moindre promotion est associée à des faveurs sexuelles.
En ce qui concerne les violences subies hors des rédactions, encore appelées violences publiques, les plus courantes que subissent les femmes journalistes sont les préjugés et les stéréotypes, le rejet de certaines forces religieuses et le harcèlement. Les préjugés et stéréotypes constituent la violence publique la plus régulière que les femmes journalistes subissent. Elles se voient attribuer des étiquettes de "femmes aux mœurs légères", de "femmes incapables de réussir une vie de foyer", de "mauvaises mères", d’"effrontées", de "perturbatrices sociales", de "femmes trop émancipées", etc.
Pour ce qui est du rejet, les femmes journalistes ne sont pas souvent les bienvenues à certaines manifestations ou cérémonies à caractère religieux, et leur habillement est le plus souvent décrié par certaines communautés religieuses. « Cette année même, en 2022, j’ai subi une autre forme de violence de la part d’un leader religieux d’une association. Je devais couvrir son activité. Consciente de la sensibilité de ce milieu, j’ai pris le soin de porter un boubou et un voile. Malgré tout, ce n’était pas suffisant aux yeux du communicateur de cette association qui m’a rabaissée en ces termes : "c’est toi la journaliste du [média X] ? J’aurais décliné le contrat si j’avais imaginé un seul instant que c’est une femme qu’on allait nous envoyer. Ce n’est pas professionnel de la part de votre journal". J’ai répondu qu’il lui faudrait au moins attendre la publication de mon travail avant d’insinuer cela. Il m’a rétorqué que "ce n’est pas nécessaire. Parce que tu nous mets mal à l’aise. Nous avons de grands imams ici qui subissent la présence d’une femme bien en forme comme toi. Regarde comment tu es, moi-même je n’arrive plus à me retenir" », témoigne une journaliste enquêtée.
Le harcèlement sexuel fait aussi partie des violences publiques exercées contre les femmes journalistes et peut même freiner l’engagement et l’affirmation professionnels de la victime. Certaines femmes enquêtées affirment avoir renoncé à des missions à cause du comportement déplacé de certains hommes. Des personnalités comme les ministres et les députés sont indexés par certaines enquêtées comme étant des grands "dragueurs". « Je n’ai jamais été victime de violence physique, mais plutôt de violence psychologique de la part, parfois, de membres du gouvernement. Parfois, ils prennent ton numéro avec quelqu’un et, du coup, ils commencent par t’envoyer des messages qu’on peut qualifier de harcèlement sexuel. Et comme c’est une autorité et un papa puisqu’ils sont souvent âgés, donc, tu ne peux pas le bloquer ou lui parler mal. Du coup, quand on t’envoie à un reportage à l’Assemblée, tu n’as pas envie d’y aller au risque de croiser son regard. Oui, ils sont généralement des députés et ministres », relate une journaliste enquêtée. Lire la suite
Synthèse de Armelle Ouédraogo/Yaméogo
Lefaso.net
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