Féminicides et agressions sexuelles : un problème de santé publique

Le sujet de la sexualité est très tabou en Haïti. Donc parler de la violence sexuelle fait de la victime un être irrespectueux et très mal perçue vis-à-vis de plus d’un. Bien qu’elle ait été victime, elle reste de moins en moins silencieuse puisqu’elle est appelée à cor et à cri à surmonter cet obstacle chronique qu’est celui du tabou de la sexualité dans un pays majoritairement catholique/protestant.

La clinique PRAN MEN’M de Médecins sans Frontières (MSF) a dénombré « de mai 2005 à octobre 2017, plus de 1826 patients dont 98% sont des femmes et 2% sont des hommes. Parmi ces 98 %, 55 % sont des mineures », précise le Dr Stéphanie LOISEAU, psychologue clinicienne, responsable de l’institution. Face à cela, on aura besoin des centres d’hébergement plus spécialisés en l’état actuel des choses. Le Ministère à la Condition féminine et aux Droits de la Femme (MCFDF) a un rôle fondamental à jouer dans la mise en œuvre d’un projet de soins de qualité et spécialisé capable de voler au secours des victimes. Des enquêteurs(es) du Ministère doivent se rendre quotidiennement sur les lieux de plainte afin de vérifier les conditions dans lesquelles les victimes sont accueillies par les autorités policières et judiciaires. À défaut de cela, un accord inter- ministériel pourrait être signé entre les ministères sectoriels (ministère de la Condition féminine, ministère Justice, ministère Santé) afin d’aménager un cadre formel de réception des victimes. Car il nous faut un plan très ambitieux pour lutter contre ce fléau. Ainsi une « Unité médico-judiciaire », à l’initiative du Ministère de la Justice et le Ministère de la Santé publique, devrait être créée si l’on veut protéger et épargner les victimes des discriminations au sein des hôpitaux qui se matérialisent au travers de chantages en milieu médical. Une grande campagne de sensibilisation contre le mauvais usage fait de la masculinité de l’homme doit être menée puisque l’arrogance de la masculinité tue et paralyse l’évolution psychologique des femmes et filles. Le pire pourrait arriver, car selon le témoignage de certaines victimes, les policiers refusent pour la plupart du temps de recevoir leur plainte. On est d’accord que face à cette dénonciation que l’on ne doit pas être ni dans l’exagération ni dans la minimisation aussi sur ce sujet belliqueux. Puisque certains peuvent ne pas être animés de la même sincérité sur ce sujet brûlant qui nous concerne tous et toutes.

En effet, la violence de la sexualité basée sur le genre est un problème très complexe qui va au-delà du traitement des besoins médicaux immédiats de la victime. La prise en charge généralisée doit être de mise. Il est prouvé à travers ces chiffres qui nous sont parvenus de la clinique « PRAN MEN’M « de MSF lors de son ouverture de mai 2015 à janvier 2018 à Port -au- Prince, la clinique recense plus de 2000 victimes de violence d’agressions sexuelles basées sur le genre(VSBG) à Port-au-Prince. Parmi elles, 58% étaient des mineures âgées de moins de 18 ans.

Face à ce constat, il faut personnaliser le parcours des bourreaux par la création d’un fichier judiciaire national. Ce plaidoyer s’inscrit dans le cadre d’un réveil qui est trop tardif d’ailleurs. Il est grand temps d’agir, car ces violences tuent et perturbent toutes les cellules de la société. Ce fléau attaque la société même dans sa matrice.

En référence à l’article 3 du décret du 6 juillet 2005 qui se lit désormais comme suit : « Si le crime a été commis sur la personne d’un enfant au-dessous de l’âge de quinze ans accomplis, la personne coupable sera punie de quinze ans de travaux forcés ». Car, il n’est anodin pour personne que les statistiques prouvent que nous assistons à la naissance d’un nouveau concept. C’est la FÉMINICIDE qui ne tarde pas à s’imposer et se définit ainsi par le dictionnaire LE ROBERT comme « Tout meurtre d’une femme ou d’une fille victime en raison de son sexe ». Le nombre de violences conjugales se révèle de plus en plus, être, un problème de sécurité publique qui mérite d’être adressé et ré-encadré par la loi en Haïti. Les violences faites aux femmes et aux filles demeurent très répandues et deviennent un problème récurrent. Selon THE GUARDIAN un journal établi à Londres, « la violence à l’endroit des femmes est exacerbée par la croyance selon laquelle le machisme-forme de misogynie propre à l’Amérique latine- et la subjugation des femmes font partie intégrante de la culture »

D’après les Country Reports en 2014, la Police nationale de la République dominicaine aurait déclaré que la violence fondée sur le sexe avait tué plus de 1331 femmes de janvier 2014 à octobre 2018 (E-U 25 Juin 2015-2018). Le Ministère de la Femme de la République dominicaine (Ministerio de la Mujer) a déclaré que 136 Féminicides avaient été commis du mois de janvier au 15 octobre 2014, et la Police nationale a signalé 160 cas en 2013(sic.). Selon l’Unité de Lutte contre la Violence fondée sur le Sexe de la Police nationale, 34 femmes ont péri par suite de violence conjugale de janvier à aout 2013, et 60 Femmes de la même période en 2014(Ibid.) Malheureusement, il a été prévu en 2019 que les portes du Centre Traumatologie et de Chirurgie d’Urgence seront fermées à Delmas 33 du CRUO de Médecins sans Frontières (MSF). Car les dernières admissions se feront le 31 janvier 2019 et la fermeture de deux de ses plus importantes structures sont programmées depuis juin 2019 dernier selon l’un des responsables de MSF Michelle Chouinard dans une interview exclusive accordée au journal Le nouvelliste du mercredi 17 juillet 2019. Or, la violence sexuelle et fondée sur le genre est une urgence médicale et constitue un problème de santé publique sous-déclarée et la prise en charge des victimes en Haïti reste et demeure insuffisante. Ces deux expressions sœurs parlant de féminicides et Agressions sexuelles se manifestent par des actes de violences basées sur le genre. Ce fléau mondial mérite d’être attaqué par tous et à tous les niveaux. Une prise en charge complète des victimes doit englober plus largement d’autres interventions outre les soins médicaux et psychosociaux, ainsi que le référencement des cas vers des organisations capables de fournir une protection supplémentaire. Car les conséquences de victimes d’agressions sexuelles basées sur le genre, telles les transmissions du VIH, les infections sexuellement transmissibles (IST), les grossesses non désirées et les blessures physiques peuvent affecter la vie des victimes et nécessiter des soins médicaux immédiats.

Enfin, en guise de réplique, je suggérerais à ce que quiconque, est condamné pour crime d’agression sexuelle ou féminicides, se voit enlever de plein doit l’autorité parentale. C’est-à-dire l’autorité parentale doit être suspendue par la justice en cas d’Homicide volontaire par le conjoint. En définitive, un homme qui a tué sa femme n’aurait pas droit à l’autorité parentale. Ce choix s’inscrit dans un objectif de rompre avec l’ancienne perception et pratique suite à mes deux formations sur les agressions sexuelles basées sur le genre à l’École Nationale de Police du Québec sous la supervision de l’École de la Magistrature (EMA). Je recommande aux autorités haïtiennes de suivre l’exemple de l’Espagne. Il est l’un des pays où il y a des tribunaux spécialisés et les décisions sont prises rapidement. À titre d’exemple, à Séville, une ville d’Espagne, un immeuble abrite un tribunal spécialisé qui ne traite que des violences conjugales. Aujourd’hui, l’Espagne compte une centaine de tribunaux spécialisés. Ils ont 72 heures maximum pour instruire les dossiers. D’où mon plaidoyer, depuis des lustres, pour la spécialisation des juges en Haïti. L’Espagne condamne les hommes violents à porter un bracelet électronique et procure aux femmes un téléphone d’urgence. Grâce à cet arsenal législatif, les victimes de violences conjugales osent davantage porter plainte : quatre fois plus qu’en France. Résultat, le nombre de femmes tuées a baissé, passant de 71 en 2003 à 47 en 2018 en Espagne. Ref : Franceinfo, publié le 4-9-2019.

In fine, la position dominante professionnelle d’une personnalité au sein de l’administration publique ou privée qui sollicite des faveurs sexuelles en échange d’un emploi ou d’une promotion est pleinement considérée comme une agression sexuelle sur le plan psychologique et moral. Le juge peut se servir de ces éléments pour caractériser l’infraction et poursuivre le présumé auteur.

Il faut placer l’humain au cœur de tout processus de développement écologique et numérique en cette aube de la révolution de l’économie du savoir.

Professeur EDUME Ikenson
Juge d’Instruction au TPI P-au-P

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